De l'expertise judiciaire en matière de transsexualisme
Auteur : ROGER Philippe
Publié le :
18/01/2008
18
janvier
janv.
01
2008
Avant d'aborder la question délicate de l'expertise judiciaire en matière de transsexualisme, il importe de rappeler les conditions dégagées par la jurisprudence qui président au changement de sexe à l'état civil.
La transsexualitéRappel des trois conditions cumulatives pour obtenir la modification du sexe aux registres de l'état civil.
Par un arrêt de Cassation rendu en Assemblée Plénière le 11 DECEMBRE 1992 , la Cour de Cassation a posé le principe que :
"Lorsque, à la suite d'un traitement médico-chirurgical subi
"dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome
"du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son
"sexe d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant
"de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social, le
"principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil
"indique désormais le sexe dont elle a l'apparence; que le principe
"de l'indisponibilité de l'état des personnes ne fait pas obstacle à
"une telle modification."
Ainsi, le justiciable doit réunir trois conditions pour qu'il soit procédé à la modification du sexe aux registres de l'état Civil :
1 - le constat médical du syndrome de dysphorie de genre.
2 - la réalisation d'une opération chirurgicale de réassignation sexuelle.
3 - une apparence physique et un comportement social conformes au sexe revendiqué.
Ces critères ayant été rappelés, qu'en est-il de la question de l'expertise judiciaire.
La question de l'expertise judiciaire.
D'aucuns ont pu considérer qu'une quatrième condition relative à la désignation d'un expert judiciaire pour établir la réalité du syndrome transsexuel avait été posée par l'Assemblée Plénière de la Cour de Cassation.
En pratique, il apparaît que cette quatrième condition est appréciée diversement par les juridictions du fond, certaines imposant l'intervention d'un expert judiciaire ou d'un collège d'experts, d'autres fondant leur décision à partir de dossiers constitués méticuleusement par les justiciables .
Au demeurant, une lecture attentive de l'arrêt d'Assemblée Plénière du 11 DECEMBRE 1992 n'autorise pas à considérer que la Cour de Cassation ait imposé aux juridictions du fond la désignation systématique d'un expert judiciaire.
Les faits étaient les suivants :
Un justiciable de sexe masculin à vocation féminine avait sollicité auprès du Tribunal le changement de son sexe à l'état civil ainsi que le changement de son prénom. Seul le changement du prénom fut accordé.
L'intéressé fit appel et demanda à la Cour d'Appel de désigner des experts ayant pour mission de décrire et d'expliquer le processus de féminisation dont il avait été l'objet et de constater son transsexualisme. L'arrêt estima cette mesure inutile et confirma la décision des premiers Juges, en considérant que les caractères du transsexualisme étaient suffisamment démontrés en l'espèce par les documents médicaux qui avaient été produits.
L'arrêt de la Cour d'Appel fut censuré par la Cour de Cassation qui considéra que :
"Si l'appartenance apparente de Monsieur Y… au sexe féminin
"était attestée par un certificat du chirurgien ayant pratiqué
"l'intervention et l'avis officieux d'un médecin consulté par
"l'intéressé, la réalité du syndrome transsexuel ne pouvait être
"établie que par une expertise judiciaire; qu'en s'abstenant de
"prescrire cette mesure et en considérant comme démontré
"l'état dont se prévalait Monsieur Y…, la Cour d'Appel n'a pas
"donné de bases légales à sa décision."
Il ressort manifestement d'une telle motivation que la nécessité de désigner un expert judiciaire ressort exclusivement des faits de l'espèce, les éléments versés au débat par le demandeur ayant été jugés insuffisants par la Cour de cassation, en l'occurrence :
- un certificat du chirurgien ayant pratiqué l'intervention.
- l'avis officieux d'un médecin consulté par l'intéressé.
Ce faisant, la Cour a pointé les faiblesses de certains dossiers soumis à l'appréciation des juges.
En principe, la remise d'attestations émanant de plusieurs médecins reconnus pour leur compétence en la matière et qui ont suivi la personne concernée devrait être suffisante.
Cependant, cela ne suffira pas toujours car il existe une inégalité de traitement des justiciables devant les tribunaux, comme nous l'avons indiqué ci-dessus.
Cette situation est le résultat de l'absence d'une législation spécifique dans notre droit interne. Pourtant, dès les années 80, le sénateur CAILLAVET avait déposé deux propositions de lois dont celle du 9 avril 1982 "tendant à autoriser les traitements médico-chirurgicaux pour les anormalités de la transsexualité et à reconnaître le changement d'état civil des transsexuels" . Elles furent toutes deux repoussées.
Cette inégalité de traitement est une invite à pratiquer une sorte de "forum shopping" , soit organiser une domiciliation fictive dans le ressort de Tribunaux de Grande Instance n'exigeant pas systématiquement une expertise judiciaire. En effet, une telle mesure n'est pas neutre financièrement et constitue une expérience traumatisante, compte tenu des investigations corporelles qu'elle implique.
Au surplus, l'intérêt d'une expertise judiciaire paraît limité puisqu'elle intervient à l'heure actuelle systématiquement après réalisation des opérations chirurgicales. La bonne méthode consisterait à exiger en amont une expertise judiciaire, système d'ailleurs retenu par la proposition de loi du sénateur CAILLAVET.
Pour mettre un terme à cette situation inéquitable, il conviendrait que le législateur se saisisse de ces questions qui ne sont pas mineures, même si les justiciables concernés constituent un faible pourcentage de la population et peuvent être considérés aujourd'hui comme des justiciables orphelins confrontés à un pouvoir législatif enfermé dans une attitude qui pourrait être ainsi résumée : "De minimis non currat legislator".
Enfin une solution législative nous rapprocherait de nos partenaires européens (Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Turquie) .
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