Expertise judiciaire et changement de sexe à l'état civil pour les personnes transsexuelles
Auteur : ROGER Philippe
Publié le :
31/07/2012
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2012
L'expertise judiciaire n'est pas un préalable obligatoire au changement de sexe à l'état civil pour les personnes transsexuelles.
Demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance et expertise médicale1. Par deux arrêts fameux du 11 décembre 1992, l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation (1), à défaut de législation spécifique en matière de modification du sexe à l'état civil des personnes transsexuelles, a défini trois conditions cumulatives devant être réunies pour obtenir le changement désiré :
- 1. Le constat médical du syndrome de dysphorie de genre.
- 2. Un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique (2).
- 3. Une apparence physique et un comportement social conformes au sexe revendiqué.
Nous estimons qu'il n'en est rien et certaines juridictions du fond nous ont suivies sur ce point (3).
Néanmoins, la disparité des pratiques demeure.
3. Le débat a connu un regain d'intérêt ces deux dernières années avec :
- 1. La publication d'une circulaire du 14 mai 2010 émanant de la Chancellerie (4).
- 2. Une proposition de loi visant à la simplification de la procédure de changement de la mention du sexe dans l'état civil formulée par 73 députés au cours de la précédente législature.
- 3. Plus récemment, deux arrêts rendus le 7 juin 2012 par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation (5).
La circulaire du ministère et la proposition de loi allaient toutes deux dans le même sens.
La circulaire destinée tant aux magistrats du parquet civil qu'aux juges précisait : "Vous veillerez également à ne solliciter d'expertises que si les éléments fournis révèlent un doute sérieux sur la réalité du transsexualisme du demandeur. Dans tous les autres cas, vous fonderez votre avis sur les diverses pièces, notamment les attestations et comptes rendus médicaux fournis par le demandeur à l'appui de sa requête, qui engagent la responsabilité des praticiens les ayant établis".
Plus radicale, la proposition de loi exclut l'expertise judiciaire. Elle insère au Code civil un nouvel article 99-2 qui dispose :
"La requête en rectification de la mention du sexe est présentée par l'intéressé au président du tribunal de grande instance en présence d'au moins trois témoins capables, sans lien ni d'ascendance ni de descendance avec l'intéressé. Ils témoignent de la bonne foi du fondement de la requête.
L'abus manifeste du requérant fonde l'intervention du Ministère public.
Le tribunal ordonne, sauf abus manifeste, la rectification de la mention du sexe.
La rectification est définitive, sous réserve de la non introduction d'une nouvelle requête de l'intéressé au titre de l'alinéa premier de l'article 99-2 du présent Code.
Sans préjudice des dispositions de l'article 101 du présent Code, les actes reposant sur l'acte d'état civil doivent, à peine de l'amende édictée à l'article 50 du Code civil, intégrer la rectification ordonnée à la date de rectification.
La rectification de la mention du sexe confère les droits et obligations du nouveau sexe à l'intéressé sans préjudice des obligations contractées sous l'empire de l'ancien à l'égard des tiers et sous réserve des droits liés au sexe antérieur.
Le mariage préexistant doit être dissout au jour de l'introduction de la requête en rectification.
La filiation établie avant la rectification ne subit aucune modification. Après la rectification, la filiation peut être établie à l'égard de l'intéressé conformément aux dispositions du titre septième du présent Code".
Le modèle retenu, bien éloigné de celui présenté certes en 1982 par le sénateur Caillavet, ne paraît pas assurer la sécurité juridique des justiciables et fait du président du tribunal de grande instance un simple bureau d'enregistrement des requêtes. La sécurité médicale due aux patients n'est pas davantage prise en compte. En effet, aucune référence au diagnostic de transsexualisme n'est faite, et en amont au travail de prise en charge médicale spécifique et nécessaire à ce syndrome.
En revanche, on peut légitimement souhaiter l'élaboration d'une législation spécifique qui permettrait de mettre un terme à l'hétérogénéité dans le traitement des requêtes, suivant les juridictions saisies.
Quoi qu'il en soit, une circulaire ne saurait palier les fragilités du système actuel.
La Cour de cassation quant à elle n'a pas révolutionné le corpus juridique applicable. Il est même permis de penser que la Cour ne pose par pour principe la nécessité de faire procéder à une expertise judiciaire préalablement au changement de sexe à l'état civil.
Dans les deux décisions rendues par la Cour, il apparaît que ce sont des circonstances particulières qui ont amené les juges à rejeter le pourvoi en cassation des deux justiciables.
Ainsi, la Cour retient dans les deux arrêts que :
"Pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence;"
Ce libellé pose plus de question qu'il n'apporte de réponses. En effet, la référence à l'irréversibilité évoque l'ablation des organes génitaux, condition d'ailleurs rejetée par la circulaire du 14 mai 2010 qui ne s'impose pas pour autant aux juridictions, car dépourvue de force obligatoire.
Certes, l'irréversibilité concerne la transformation de l'apparence. Mais quelles sont les limites de l'apparence (épilation, ablation des seins, ablation du pénis, etc.) ?
Puis, la Cour précise dans l'arrêt n° 10-26947 :
"Qu'après avoir examiné, sans les dénaturer, les documents produits, et relevé, d'une part, que le certificat faisant état d'une opération chirurgicale effectuée en Thaïlande était lapidaire, se bornant à une énumération d'éléments médicaux sans constater l'effectivité de l'intervention d'autre part, que M. X… opposait un refus de principe à l'expertise ordonnée par les premiers juges, la cour d'appel a pu rejeter sa demande de rectification de la mention du sexe dans son acte de naissance ; que le moyen n'est pas fondé ;"
C'est donc en considération d'éléments de preuve insuffisants et de l'attitude du justiciable hostile par principe au pouvoir du juge d'ordonner une mesure d'instruction que la Cour d'appel de Paris a rejeté la demande de changement de sexe à l'état civil, décision confirmée par la Cour de cassation.
Au total, notre système juridique relatif au changement d'état civil de la personne transsexuelle comporte de trop nombreuses zones d'incertitudes qui nécessitent l'intervention du législateur.
Index:
(1) Cour de cassation, Assemblée plénière, 11 décembre 1992, n° 91-11900 et n° 12373.
(2) L'opération chirurgicale de réassignation sexuelle n'implique pas nécessairement une ablation des organes génitaux entraînant une stérilité. D'ailleurs, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation n'a pas posé un tel principe. En revanche, les juridictions du fond ont des jurisprudences divergentes en la matière.
(3) L'avenir de l'expertise judiciaire en matière de transsexualisme, Philippe ROGER, Revue EXPERTS, n° 89, avril 2010, p. 18-19.
(4) Circulaire de la DACS n° CIV/07/10 du 14 mai 2010 relative aux demandes de changement de sexe à l'état civil, BOMJL n° 2010-03 du 31 mai 2010.
(5) Cour de cassation, 1ère chambre civile, 7 juin 2012, n° 11-22490 et n° 10-26947.
Sur le même sujet ...Voirci les précédents articles de Philippe ROGER sur ce sujet:
- L'expertise judiciaire en matière de transsexualisme a t-elle un avenir?
- De l'expertise judiciaire en matière de transsexualisme
- Le syndrome de transsexualisme et la Sécurité sociale
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Franck Thomasse - Fotolia.com
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