La responsabilité sans faute de l'Etat du fait des dégâts et dommages résultant des manifestations de gilets jaunes
Auteur : ROGER Philippe
Publié le :
28/03/2020
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Alors que la fièvre médiatique est obnubilée par le Covid-19, chassant celle de la réforme des retraites qui avait quelque peu éclipsé celle des gilets jaunes, les conséquences financières de la fièvre jaune sont toujours d’actualité. Nombre de commerçants et travailleurs indépendants ont vu leur outil de travail saccagé sans pouvoir agir contre les responsables de ces dégradations, le plus souvent insaisissables, au propre comme au figuré.
Au demeurant, les victimes de ces actes de vandalisme ne sont pas totalement démunies. En effet, elles peuvent agir à l’encontre de l’État sur le fondement de la responsabilité sans faute en matière d’attroupement ou rassemblement. Fort heureusement, elles seront le plus souvent garanties par leurs assureurs, lesquels disposeront alors d’une action subrogatoire à l’encontre de l’État, sans devoir attendre l’issue d’une procédure contentieuse.
Ce régime de responsabilité sans faute est prévu par l’article L.211-10 du Code de la sécurité intérieure qui dispose en son premier alinéa :
"L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblement armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens…
Il n’appartient donc pas au requérant d'établir l'existence d'une faute de l’État. Cependant, les trois conditions suivantes doivent être réunies pour que cette responsabilité soit consacrée :
- l’existence de dégâts et dommages résultant d'un crime ou d'un délit commis, à force ouverte ou par violence ;
- l’existence d'un attroupement ou d'un rassemblement armé ou non armé ;
- l'existence d'un lien de causalité direct entre le crime ou le délit et l’attroupement ou rassemblement.
Or, les préfectures opposent invariablement aux requérants l’argument selon lequel le préjudice subi ne serait pas lié directement à l'existence d'un attroupement ou d'un rassemblement, précisant que l’attroupement n'est pas constitué lorsqu'un groupe de personnes s’est organisé dans le seul but de commettre un délit ou un crime.
Autrement dit, l’administration soutient systématiquement que les dégradations seraient le fait de petits groupes de casseurs isolés, sans lien aucun avec les manifestants et dont le seul objectif consisterait à profiter de mouvements populaires pour semer le chaos
Elle estime alors que lesdites dégradations ne peuvent être considérées comme découlant d'un attroupement mais sont la conséquence d’agissements de casseurs sévissant en leur nom propre et organisés à seule fin de commettre le délit de dégradation de bien d'autrui, de sorte que la responsabilité de l'État sur le fondement de l'article L.211-10 du Code de la sécurité intérieure ne pourrait être retenue.
L’autorité préfectorale s’emploiera alors à démontrer l’intervention préméditée d’un groupe de casseurs, distinct de la manifestation, tandis que les victimes s’attacheront à relier les dégradations à l’attroupement ou rassemblement formé par les manifestants.
Il y aura donc lieu pour les victimes de se ménager, autant que possible, des preuves.
On l’aura compris, l’application de ce régime de responsabilité sans faute par le juge administratif n’est en aucun cas automatique. Cependant, le Conseil d’État donne aux victimes d’attroupements des raisons d’espérer.
En effet, par un arrêt rendu le 7 décembre 2017 , le Conseil d'État a considéré que la seule circonstance que les dégradations commises sur la voie publique à l’occasion d’une manifestation présentaient un caractère organisé et prémédité n’excluait pas la responsabilité sans faute de l’État, dès lors que lesdites dégradations l’avaient été dans le cadre d’une manifestation sur la voie publique à laquelle avaient participé plusieurs centaines de manifestants, et non par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre des délits.
Cet article n'engage que son auteur.
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