Mères porteuses: la réglementation
Auteur : ROGER Philippe
Publié le :
02/08/2009
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En France la maternité légale résulte de l'accouchement. Cependant, les progrès de la technologie tendent à remettre en cause ce principe avec ce que l'on appelle la procréation pour autrui et la gestation pour autrui
Les mères porteuses : de la prohibition actuelle au projet de légalisationEn France et dans la grande majorité des pays de l'Union Européenne, la maternité légale résulte de l'accouchement.
Cependant, les progrès de la technologie tendent à remettre en cause ce principe avec ce que l'on appelle la procréation pour autrui et la gestation pour autrui, comme le rappelle le rapport d'information du Sénat intitulé "Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui" (1). Ces deux techniques doivent être distinguées. Avec la procréation pour autrui, la femme qui porte l'enfant est sa mère génétique, tandis qu'avec la gestation pour autrui, elle n'en est que la gestatrice qui recueille l'enfant conçu avec les gamètes du couple demandeur ou de tiers donneurs.
Cette remise en cause de la prohibition est d'autant plus forte que d'autres pays autorisent la maternité pour autrui. Il en va ainsi de la Belgique, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de la Grèce et de certains Etats ou Provinces des Etats-Unis et du Canada, alors que l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche et la Suisse interdisent la maternité de substitution (2).
I ) – Les mères porteuses : prohibition absolue par le droit français actuel
A – Une prohibition édictée par la jurisprudence
Par un arrêt retentissant du 31 mai 1991, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a énoncé le principe suivant : la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance, contrevient aux principes d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain, et de l'état des personnes (3).
Dès lors, encourt la cassation l'arrêt qui, pour prononcer l'adoption plénière d'un enfant, retient d'abord qu'en l'état actuel des pratiques scientifiques et des mœurs, la méthode de la maternité substituée doit être considérée comme licite et non contraire à l'ordre public, ensuite que cette adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant qui a été accueilli et élevé au foyer de l'adoptant pratiquement depuis sa naissance, alors que cette adoption n'était que l'ultime phase d'un processus d'ensemble qui, destiné à permettre à un couple l'accueil à son foyer d'un enfant conçu en exécution d'un contrat tendant à son abandon à la naissance par sa mère, constituait un détournement de l'institution de l'adoption.
B – Une prohibition confirmée par le législateur
La loi bioéthique du 29 juillet 1994 sur le respect du corps humain a renforcé la position de la Cour de cassation (4). Ainsi, l'article 16-7 du Code civil dispose : "Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle". L'article 16-9 du même code précise que cette règle est d'ordre public. Il ne peut donc y être dérogé. A cet égard, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser par un arrêt du 17 décembre 2008 que l'interdiction française de la maternité pour autrui ne peut être contournée à l'étranger (5).
Cette prohibition est accompagnée de sanctions pénales lourdes. Ainsi, l'article 227-12 du Code pénal punit d'un an d'emprisonnement et de 15.000 € d'amende le fait de s'entremettre entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double. La tentative est punie des mêmes peines.
L'article 227-13 du même code punit de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 € d'amende la substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l'état civil d'un enfant.
II ) – Les mères porteuses : vers un projet de légalisation par la France ?
La position intransigeante de la Cour de cassation, parfaitement conforme au droit positif et le recours au "tourisme procréatif" ou à "l'exode procréatif" par des couples infertiles conduisent à des situations juridiques et humaines, sources d'insécurité, et pour l'enfant au premier chef.
C'est dans ce contexte qu'une réflexion a été menée par la commission des Affaires sociales du Sénat, laquelle a donné lieu au rapport du 25 juin 2008. Ce rapport contient des recommandations pour autoriser et encadrer la gestation pour autrui.
A – Les conditions d'intervention des protagonistes à la maternité pour autrui
Sont concernés les parents en demande d'enfant, les mères porteuses candidates et les praticiens.
1) Conditions requises des bénéficiaires
Trois obligations sont préconisées :
• former un couple composé de personnes de sexe différent, mariées ou en mesure de justifier d'une vie commune d'au moins deux années, en âge de procréer et domiciliées en France ;
• la femme devra être dans l'impossibilité de mener une grossesse à terme ou de la mener sans danger pour sa santé ou pour celle de l'enfant à naître ;
• l'un des deux membres du couple au moins devra être parent génétique de l'enfant.
2) Conditions requises de la mère porteuse
Cinq règles sont formulées :
• Interdiction d'être la mère génétique de l'enfant ;
• Obligation d'avoir déjà eu au moins un enfant sans avoir rencontré de difficulté particulière pendant la grossesse ;
• Interdiction de mener plus de deux grossesses pour le compte d'autrui ;
• Interdiction, pour une mère, de porter un enfant pour le compte de sa fille ;
• Obligation d'être domiciliée en France.
3) Agrément des intervenants au projet de gestation
Les couples en demande et la mère porteuse devront obtenir un agrément, après examen de leur état de santé physique et psychique, délivré par une commission pluridisciplinaire placée sous l'autorité de l'Agence de la biomédecine.
Les praticiens et les centres de procréation médicalement assistée devraient obtenir une habilitation spécifique.
Dans un souci d'indépendance, les praticiens concernés par une gestation pour autrui ne pourraient pas participer à la délivrance de ces agréments.
B – Le régime légal proposé
1) Principe de gratuité
Pourront être créées des associations à but non lucratif agréées par l'Agence de la biomédecine pour mettre en relation les couples demandeurs et les mères porteuses.
Interdiction de percevoir une rémunération pour ce rôle d'intermédiaire et de faire de la publicité sur la gestation pour autrui.
Interdiction de rémunérer la mère porteuse, sauf à prévoir une prise en charge financière par le couple candidat afin de couvrir les frais non pris en charge par la sécurité sociale.
2) Droits sociaux
Octroi à la mère porteuse de tous les droits sociaux afférents à la maternité mais pas de droits supplémentaires à la retraite.
Octroi aux parents candidats de droits à congés pour l'accueil de l'enfant calqués sur les droits à congés en matière d'adoption.
Accompagnement psychologique de la mère porteuse et des parents candidats, pendant la grossesse et après l'accouchement.
3) L'intervention du juge judiciaire
Le transfert d'embryon serait subordonné à une autorisation judiciaire.
Le magistrat aurait notamment pour tâche de :
• vérifier les agréments ;
• recueillir les consentements écrits des intéressés ;
• informer le couple candidat et la mère porteuse sur les conséquences de leur engagement sur la filiation de l'enfant ;
• fixer et réviser éventuellement le montant du dédommagement de la mère porteuse.
4) Les droits de la mère porteuse sur sa grossesse et sur l'enfant
Seule la mère porteuse aura compétence pour prendre les décisions afférentes au déroulement de la grossesse, notamment celle de demander son interruption.
La possibilité est réservée à la mère porteuse de devenir la mère légale de l'enfant, à condition d'en exprimer la volonté dans les trois jours suivant l'accouchement, avec application du droit commun de la filiation.
A défaut de se prononcer en ce sens, il serait procédé à l'inscription automatique des noms des parents intentionnels sur les registres de l'état civil en exécution de la décision judiciaire ayant autorisé le transfert d'embryon.
5) Maintien de certaines règles antérieures
Seraient maintenus :
• les délits de provocation à l'abandon d'enfant et d'entremise en vue d'une gestation pour autrui en cas de violation des règles de gratuité ;
• pour l'avenir l'interdiction d'établir la filiation maternelle des enfants nés à l'étranger en violation des règles d'ordre public édictées par la loi française. En revanche, il serait possible, en vue de résoudre les situations épineuses actuelles d'établir la filiation maternelle d'un enfant né d'une maternité pour autrui si ses parents d'accueil remplissent les conditions requises exposées plus haut.
* * *
On perçoit que ces recommandations devraient donner lieu à controverses. De la part des prohibitionnistes bien sûr, mais également de la part des promoteurs de la légalisation. En effet, pour ne citer que deux points précis :
• La sécurité juridique du système ne paraît pas assurée pour les couples candidats, dans la mesure où la mère porteuse bénéficierait d'une sorte de droit de rétractation ;
• Les couples dont l'homme et la femme seraient tous deux stériles seraient exclus du système préconisé qui exige que l'un des deux membres du couple soit au moins parent génétique.
Index:
(1) Rapport d'information du Sénat n° 421 du 25 juin 2008 : http://www.senat.fr/noticerap/2007/r07-421-notice.html
(2) Etude de législation comparée n° 182 – La gestation pour autrui, Service des études juridiques du Sénat, janvier 2008 : http://www.senat.fr/lc/lc182/lc182_mono.html
(3) Cass., Ass. Plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105.
(4) Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 sur le respect du corps humain.
(5) Cass. 1re civ., 17 décembre 2008, n° 07-20.468.
Cet article n'engage que son auteur.
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