La responsabilité conjointe du médecin prescripteur et du pharmacien d'officine
Auteur : ROGER Philippe
Publié le :
09/02/2011
09
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02
2011
Le médecin prescripteur et le pharmacien d'officine oeuvrent tous deux dans l'intérêt des patients. Il convient de rappeler que l'ordonnance du médecin traitant doit être rédigée lisiblement et conformément aux données acquises de la science.
Lisibilité des ordonnances et conformité aux données acquises de la science
Le médecin prescripteur et le pharmacien d'officine oeuvrent tous deux dans l'intérêt des patients.
Cependant, sur les millions d'actes effectués par ces professionnels de santé, il arrive que ce duo montre quelques défaillances préjudiciables au patient, entraînant du même fait leur responsabilité in solidum. C'est ce qu'a rappelé récemment la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation par un arrêt du 14 OCTOBRE 2010 (1).
Il convient de rappeler que l'ordonnance du médecin traitant doit être rédigée lisiblement (1°) et conformément aux données acquis es de la science (2°).
1° Une ordonnance lisible.
L'article R.4127-76 du Code de la Santé Publique dispose que :
"Tout certificat, ordonnance, attestation ou document délivré par un médecin "doit être rédigé lisiblement en langue française et daté, permettre l'identification "du praticien dont il émane et être signé par lui."
L'article R.4127-34 du même Code ajoute que :
"Le médecin doit formuler ses prescriptions avec toute la clarté indispensable, "veiller à leur compréhension par le patient et son entourage et s'efforcer d'en "obtenir la bonne exécution."
Ainsi, la liberté de prescription du médecin consacrée par l'article L.162-2 du Code de la Sécurité Sociale et rappelée par l'article R.4127-8 du Code de la Santé Publique est-elle encadrée par ces deux exigences de lisibilité et de clarté.
En effet, l'illisibilité d'une ordonnance est source d'erreur pour le pharmacien chargé de délivrer le traitement. Il pourrait être amené à délivrer, soit un principe actif dont l'orthographe est proche de celui prescrit par le médecin traitant, soit le bon médicament mais suivant une posologie erronée. Dans ces deux derniers cas, les conséquences peuvent être dramatiques et engager la responsabilité du médecin.
Au demeurant, celle du pharmacien peut également être recherchée dans la mesure où, selon l'article R.4235-48 du Code de la Santé Publique, il doit assurer dans son intégralité l'acte de dispensation du médicament, associant à sa délivrance l'analyse pharmaceutique de l'ordonnance médicale. L'article R.4235-61 prévoit d'ailleurs que lorsque l'intérêt de la santé du patient lui paraît l'exiger, le pharmacien doit refuser de dispenser un médicament et, si le médicament est prescrit sur une ordonnance, il est tenu d'informer immédiatement le prescripteur de son refus et le mentionner sur l'ordonnance.
En d'autres termes, le pharmacien doit prendre contact avec le médecin, en cas de doute sur la prescription. Cette exigence de dialogue est désormais constante dans le cadre de la prise en charge pluridisciplinaire des patients par les professionnels de santé (corps médical et para médical).
2° Une ordonnance conforme aux données acquises de la science.
C'est dans son arrêt du 14 octobre 2010 que la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation a rappelé l'obligation qui pèse sur le médecin de délivrer des soins conformes aux données acquises de la science, obligation propre au contrat médical consacré par le fameux arrêt Mercier (2).
En l'espèce, un nouveau-né de 6 semaines avait été victime d'une intoxication salicylique à la suite de l'absorption de Catalgine à 0,50 g délivrée par erreur par un préposé d'une pharmacie, à la place de la Catalgine à 0,10 g prescrite par le médecin généraliste. La Cour de Cassation a confirmé l'arrêt de la Cour d'Appel de Montpellier du 3 Juin 2009 qui avait condamné in solidum les pharmaciens et leur assureur ainsi que le médecin et son assureur à indemniser les préjudices subis par l'enfant et par ses parents et réparti entre eux la charge finale de la réparation à hauteur de 60% pour les premiers et 40% pour les seconds.
La solution classique de la responsabilité des pharmaciens du fait de leur préposé, en application de l'article 1384 alinéa 5 du Code Civil, n'appelle pas de commentaire particulier. La faute est patente puisque le préposé a délivré un médicament selon un dosage supérieur et non conforme à la prescription.
En revanche, cet arrêt mérite quelques observations en ce qui concerne le médecin prescripteur. Il est ainsi reproché au praticien d'avoir manqué à ses obligations pour les raisons suivantes :
- le traitement prescrit n'était pas conforme aux données acquises de la science.
A cet égard, la Cour rappelle les termes du rapport d'expertise judiciaire homologués par les Premiers Juges et selon lesquels les salicylés, déconseillés en raison de la perturbation de la coagulation sanguine qu'ils entraînent, du fait qu'ils peuvent favoriser des maladies neurologiques graves voire induire un syndrome de Reyne, maladie rare mais très grave quand ils sont administrés dans un contexte de pathologie virale, ne constituaient plus, depuis plusieurs années au moment des faits, le médicament antithermique de référence et de première intention chez le nourrisson, tandis que d'autres principes actifs, tels le paracétamol, offraient la même efficacité et présentaient moins d'inconvénients.
La Cour pointe d'ailleurs ici les limites du principe de liberté de prescription qui, selon elle, ne trouve application que dans le respect du droit de toute personne de recevoir les soins les plus appropriés à son âge et à son état, conformes aux données acquises de la science et ne lui faisant pas courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté.
- en outre, il est reproché au médecin traitant de ne pas avoir mentionné sur l'ordonnance l'âge et le poids du malade. Ces mentions sont obligatoires dans le domaine de la pédiatrie et correspondent à un standard de qualité mettant le pharmacien en mesure de disposer des éléments lui permettant de contrôler la prescription. Confirmant l'arrêt de la Cour d'Appel, la Cour de Cassation considère que l'absence de ces mentions obligatoires avait facilité la commission d'une faute par le préposé de la pharmacie, en relation directe avec le dommage. Ainsi, la faute du médecin avait contribué à la réalisation du dommage.
Index:
(1) Cass. 1ère Civ., 14 OCTOBRE 2010, N°09-68471.
(2) Cass. 1ère Civ., 20 MAI 1936, Dalloz 1936, 1, 88.
Cet article n'engage que son auteur.
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